Pollution, émissions de gaz à effet de serre, embouteillages, surpopulation – voilà quelques-uns des problèmes auxquels sont confrontées de nombreuses villes et que devrait encore aggraver l’augmentation constante de la population urbaine. D’où l’importance cruciale de l’Objectif de développement durable ODD 11 – « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». En atteignant les cibles de l’ODD 11, on prépare le terrain pour la réalisation de bon nombre des autres ODD.
Pour atteindre les cibles définies au titre de l’ODD 11, nous devons unir nos efforts afin de mettre au point les outils qui permettront aux villes de devenir vraiment intelligentes et durables. Les Normes internationales peuvent être de puissants outils de changement. En les appliquant, les villes, déjà responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre, sont à même de réduire leurs coûts énergétiques et leurs émissions grâce à des bâtiments, des réseaux électriques, un éclairage public, des systèmes de transport et des réseaux énergétiques et d’adduction d’eau plus efficients.
Les Normes internationales fournissent les outils, les fondations et les bases nécessaires pour assurer l’avenir des villes, que ce soit à Pully, en Suisse, à Sappada, en Italie, ou ailleurs. Voyons maintenant comment ces villes s’en sortent.
Sappada, Italie
ISOfocus : Pourriez-vous nous expliquer brièvement comment vous est venue l’idée de mettre en œuvre la norme ISO 37101 à Sappada ?
Sara Toniolo et Chiara Pieretto : Ce village des Dolomites entouré d’imposantes forêts de conifères a une histoire singulière. Fondé au XIe siècle par des colons originaires du Tyrol venus dans le sud à la recherche d’une plus grande sécurité, Sappada est une petite enclave linguistique sur le territoire italien. Vous entendrez peut-être parler un curieux dialecte dans les rues, mais la première preuve visible de cet héritage culturel tient à la présence de chalets en bois typiques, groupés autour d’une petite chapelle. Le village baigne dans le folklore local, et les Sappadini célèbrent toujours le Carnaval de Sappada, une manifestation annuelle haute en couleur où, depuis des générations, sont utilisés les mêmes masques en bois.
Trois « sites d’importance communautaire » assurent la préservation de l’extraordinaire paysage de montagne de cette région, où affluent chaque année plus de 96 000 visiteurs. Sappada est aussi une station touristique très appréciée, qui dispose d’une infrastructure ultramoderne principalement axée sur les sports d’hiver. Le défi consistait à maîtriser le développement du village sans rien lui ôter de son charme si pittoresque. Pour ce faire, il fallait une stratégie de développement durable, assortie de mesures clairement définies que les habitants pourraient mettre en œuvre pour atteindre des objectifs de développement adaptés à leurs besoins sociaux, environnementaux et économiques.
Département de génie industriel (Université de Padoue).
Soucieux de promouvoir l’attractivité des lieux tout en préservant leurs particularités environnementales, sociales et culturelles, le maire de Sappada a eu recours à ISO 37101, une norme établissant les exigences d’un système de management pour le développement durable des communautés territoriales. Le projet a été coordonné par le Professeur Antonio Scipioni, du Département de génie industriel de l’Université de Padoue, en vue d’inciter l’ensemble des acteurs locaux et régionaux à adhérer à un objectif commun : aider la communauté territoriale à mettre au point des programmes de développement du territoire adaptés, prenant en compte ses caractéristiques environnementales, économiques et socio-culturelles. Ces efforts ont été couronnés par la certification ISO 37101 obtenue en mai dernier.
Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fiers dans votre démarche ISO 37101 ?
De par son approche holistique, la norme ISO 37101 a aidé Sappada à gérer ses spécificités locales complexes, avec des caractéristiques environnementales particulières et un fort sentiment d’identité, tout en définissant de nouvelles façons de promouvoir le territoire. Par bonheur, nous sommes parvenus à engager côte à côte des associations soucieuses du développement culturel et local et d’importants acteurs du secteur du tourisme tels que des gérants d’hôtel ou des gestionnaires d’événements. Nous avons aussi mis au point un nouvel outil destiné à aider la municipalité à recenser et à évaluer l’ensemble de ses activités sur des critères de durabilité, de risques et d’opportunités. Nous sommes fiers de notre travail, car à notre connaissance, Sappada est la première communauté territoriale italienne – européenne même – à obtenir la certification ISO 37101.
De quelle façon ISO 37101 aidera-t-elle Sappada à mettre en œuvre une stratégie de développement durable ?
Avec ISO 37101, Sappada pourra continuer de promouvoir son identité et sa culture tout en protégeant ses paysages typiques grâce à des programmes environnementaux appropriés, renforçant ainsi son attractivité aux yeux du monde extérieur. Le village pourra aussi mesurer et suivre de près sa performance en matière de durabilité, veiller à respecter ses obligations juridiques et mobiliser les parties intéressées.
Quelle sorte de résultats espérez-vous obtenir dans les mois qui viennent ?
Sappada est le premier village durable en Italie. La municipalité a l’intention de promouvoir les avantages de la certification ISO 37101 auprès de ses principaux partenaires afin de mieux mettre en lumière cette importante réalisation et de préparer les prochaines étapes. Nous prévoyons de faire participer les élèves des écoles locales à des programmes éducatifs consacrés à des enjeux environnementaux tels que la collecte des ordures ou la protection des paysages. La sécurité des infrastructures publiques sera aussi améliorée, et il est projeté de créer un écomusée dans le village. La municipalité sera chargée d’assurer la surveillance de l’amélioration continue de ces activités et de leurs performances globales en matière de durabilité.
Avez-vous des conseils à donner aux villes ou communautés territoriales qui ne savent pas par où ni comment commencer ?
Nous leur conseillons de commencer par une analyse approfondie du contexte propre à leur communauté territoriale. Par exemple, a-t-elle une forte identité qu’elle souhaite défendre ? Quels sont les principales caractéristiques du paysage et comment pouvez-vous les préserver ? Y a-t-il une forte affluence touristique et, dans l’affirmative, comment la gérer au mieux ? Apprenez à mieux connaître votre environnement local et vos conditions ambiantes en mettant en place un système de surveillance efficace et adaptez-le à vos besoins.
La mise en œuvre d’ISO 37101 a permis à Sappada de mettre au point un système intégré de surveillance multifonctions pour évaluer les conditions environnementales, économiques et sociales de la communauté territoriale. Ainsi, il a été possible de recueillir de grandes quantités de données sur la qualité de l’air, la consommation d’eau et les émissions, mais aussi sur le taux d’emploi, le nombre d’enseignants, les classes de sport et de langues étrangères pour enfants (dialecte local y compris), le nombre de lits d’hôpital et la typologie des situations d’urgence dans la région. À cet égard, une autre norme, ISO 37120, traitant des indicateurs pour les services urbains et la qualité de vie, s’est avérée très utile pour connaître les informations à collecter. Avec des indicateurs précis et vérifiables, vous pouvez faire en sorte que les atouts uniques de votre communauté territoriale deviennent une ressource pour l’avenir.
Pully, Suisse
ISOfocus : À votre avis, quels sont les plus grands défis à relever pour les villes intelligentes ?
Alexandre Bosshard : Réussir une implémentation harmonieuse des technologies de l’information et de la communication (TIC) au cœur des services dispensés par la ville demande de relever de nombreux défis. Pour la Direction des travaux publics et des services industriels (DTSI) de la Ville de Pully, nous pourrions citer la culture de l’innovation au sein de l’administration, la question des ressources financières et intellectuelles et la relation avec le citoyen, tant du point de vue de la protection de la sphère privée que de sa participation au développement d’une ville pratique, humaine et conviviale.
la Direction des travaux publics et des services
industriels de la Ville de Pully, Suisse.
Quelles sont les solutions ?
En ce qui concerne la culture de l’innovation, la DTSI a mis en œuvre un double processus. D’une part, au niveau individuel, lors de l’engagement d’un nouveau chef de projet, celui-ci est formé et coaché par un collaborateur senior durant l’intégralité de sa première réalisation. D’autre part, au niveau collectif, un système de management par projet a été introduit au sein de l’équipe de direction. Cela permet d’articuler les prises de décision entre les responsables des entités, qui ont la responsabilité de fournir des prestations avec une qualité constante, et les chefs de projet chargés d’adapter la DTSI à l’évolution de son environnement. Cette dynamique favorise et régule l’interaction entre les collaborateurs, ce qui, au final, permet l’émergence de l’intelligence collective et suscite l’innovation.
L’exemple qui suit illustre une piste possible pour résoudre la question du financement et des ressources intellectuelles. Il y a trois ans, dans le cadre de l’élaboration d’un projet d’e-gouvernance, Pully a sollicité plusieurs villes pour savoir si elles étaient intéressées à y participer. Leur collaboration a permis de bénéficier de conseils avisés afin que l’application « e-permis de fouille » puisse être utilisée pour de multiples usages. De plus, la mutualisation des investissements a permis de substantielles économies puisque, sur un budget total de USD 172 000, notre ville a participé à hauteur de USD 52 000, le solde étant financé par les autres partenaires.
Après la mise en production avec succès de plusieurs projets « smart », dès 2017 la Ville de Pully s’est sentie suffisamment mature pour définir une vision et une stratégie numériques. Le cœur de la réflexion s’est porté sur l’impact social de la mise en œuvre des TIC et en particulier sur la participation du citoyen. À cet effet, un site Internet sera lancé au deuxième semestre 2018. Celui-ci présentera les projets et illustrera concrètement la façon dont la ville traite, par exemple, de la question du respect de la sphère privée. En plus de ce dispositif, des événements ponctuels pourraient être organisés pour dialoguer avec les citoyens autour des enjeux de la transition numérique et de la mise en œuvre concrète de projets « smart ».
Pourquoi la Ville de Pully cherche-t-elle à mettre en œuvre des indicateurs de performance clés ?
La question de la numérisation est complexe car elle touche de nombreux domaines d’activité de la ville et son aspect technologique la rend particulièrement abstraite. En effet, il est plus facile de communiquer sur la création d’une nouvelle place de jeux pour les enfants que sur la mise en œuvre de la technologie big data pour l’élaboration d’indicateurs de mobilité. Aussi, la mise en œuvre d’indicateurs clés de performance peut-elle contribuer à communiquer de façon objective les domaines dans lesquels des progrès sont à réaliser, identifier les bonnes pratiques ou encore collaborer avec d’autres villes.
C’est ainsi qu’en avril 2018, la Ville de Pully a été certifiée par l’Union internationale des télécommunications (UIT) dans le cadre de l’initiative « United for smart and sustainable cities » (Unis pour des villes intelligentes et durables) pour esquisser notre degré de numérisation et de durabilité selon la Recommandation UIT-T Y.4903/L.1603. L’UIT collabore étroitement avec l’ISO en matière de normalisation. En novembre de l’année dernière, les deux organisations se sont associées avec la Commission électrotechnique internationale (IEC) pour accueillir le World Smart Cities Forum à Barcelone, en Espagne, afin de débattre des solutions que peuvent apporter les Normes internationales dans l’édification de villes plus efficaces et plus efficientes pour leurs habitants. La Ville de Pully a eu le privilège de participer à l’événement et de se joindre à cette réflexion.
Quelle contribution les normes ISO peuvent-elles apporter aux villes intelligentes ?
Les normes ISO pourraient contribuer à réduire la complexité des projets sur les villes intelligentes, par exemple avec des lignes directrices pour la protection des données ou la mesure du cycle complet de consommation énergétique pour la délivrance d’une prestation. Un autre élément pourrait être de faciliter la certification du management participatif et collaboratif par la mutualisation des investissements et des ressources intellectuelles.
Finalement, l’ISO devrait contribuer à ce que les normes édictées par les différentes organisations convergent ou soient complémentaires ; or, ce point est déjà en cours de réalisation avec le World Smart Cities Forum.
1) World Urbanization Prospects, version révisée de 2014