Selon les estimations tirées d’une étude de 2014 parrainée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et qui prenait en compte les données les plus récentes disponibles, en 2010, jusqu’à 1,7 million de personnes ont été infectées par le virus de l’hépatite B (VHB), jusqu’à 315 000 par le virus de l’hépatite C (VHC) et pas moins de 33 800 par le VIH par suite d’une injection à risque. Si la plupart des injections sont faites en toute sécurité dans les pays développés, les pratiques d’injection varient considérablement à l’échelle mondiale, et la réutilisation du matériel d’injection, la mauvaise manipulation des aiguilles après usage et un nettoyage trop sommaire posent toujours un problème dans certaines régions.
Le phénomène n’est pas nouveau. L’OMS a lancé dès 2000 un programme pour la sécurité des injections et mis en place le Réseau mondial pour la sécurité des injections (SIGN), dans l’intention d’instaurer une pratique sûre et appropriée des injections dans le monde entier. Au début du programme, on pensait qu’environ 40 % des injections étaient faites avec du matériel réutilisé, donnant lieu à des millions de nouveaux cas d’infection par le VHB et le VHC et à des centaines de milliers de cas d’infection par le VIH.
L’initiative de l’OMS a conduit à la mise au point de nombreux modèles nouveaux de seringues munies de dispositifs censés rendre la seringue inutilisable après le premier usage. Cependant, ces modèles n’ont pas tous atteint l’objectif de non-réutilisation. L’ISO ayant déjà publié des normes pour les seringues de type classique sans dispositifs autobloquants, il a donc semblé naturel qu’elle complète la série par de nouvelles normes pour les seringues munies de tels dispositifs.
Le comité d’experts de l’ISO sur les systèmes d’injection a estimé que la réutilisation des seringues n’était pas le seul risque à prendre en compte. L’infection due à une blessure accidentelle par piqûre d’aiguille représentait en effet un risque sanitaire très réel, en particulier pour les prestataires de soins et les personnes qui peuvent être en contact avec des aiguilles ou des perforants2) dans des services médicaux ou des lieux publics.
La prévention en ligne de mire
Sur la base des initiatives de l’OMS, le comité d’experts de l’ISO sur les seringues a évalué les risques liés à la réutilisation des seringues et tenu compte du fait que les normes en vigueur concernant les seringues hypodermiques non réutilisables (ISO 7886-1 et ISO 7886-2) et les aiguilles hypodermiques non réutilisables (ISO 7864) ne tenaient pas spécialement compte du risque de réutilisation. Le comité est convenu d’élaborer de nouvelles normes afin de réduire les risques et de prévenir ainsi la propagation de virus mortels tels que le VHB, le VHC et le VIH.
Bien que les travaux de normalisation dans ce domaine aient débuté il y a de nombreuses années, il est nécessaire de lutter en permanence contre les pratiques d’injection dangereuses à l’échelle mondiale. Ce n’est donc pas un hasard si l’abandon de la réutilisation des seringues est une cible clé des Objectifs de développement durable (ODD) du Programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030, adopté en 2015 par les dirigeants du monde entier. L’ODD 3 relatif à la bonne santé et au bien-être prévoit, d’ici à 2030, de « mettre fin à l’épidémie de sida, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies tropicales négligées et [de] combattre l’hépatite, les maladies transmises par l’eau et autres maladies transmissibles ». Les initiatives visant à prévenir la réutilisation des seringues et à éviter les blessures involontaires par piqûre d’aiguille contribueront de toute évidence à la réalisation de cet objectif.
Selon William Dierick, qui a dirigé les premiers travaux de normalisation sur les seringues autobloquantes dans le cadre du comité technique ISO/TC 84, Dispositifs pour administration des produits médicaux et cathéters, la démarche du comité était – et est toujours – de se concentrer sur la sécurité des patients et de veiller à ce que les exigences des normes soient les plus à jour possible. « Lorsqu’il y a de nouveaux dispositifs ou améliorations technologiques, ou de nouveaux types de produits médicaux, notre objectif est d’être là pour adapter les normes et ainsi faire en sorte que les patients reçoivent les soins les plus sûrs et les plus efficaces », précise-t-il.
« C’est pourquoi nous faisons intervenir toutes les parties lorsque nous élaborons nos normes, y compris les autorités sanitaires comme la Food and Drug Administration (FDA), les organisations internationales comme l’OMS et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), les fabricants de médicaments et de dispositifs, et les utilisateurs finals tels que les patients et les professionnels de la santé », ajoute-t-il.
Cette approche inclusive explique en partie pourquoi Danish Standards (DS), qui assure le secrétariat de l’ISO/TC 84, s’est engagé dans un projet de jumelage avec la Standards Association of Zimbabwe (SAZ) afin de favoriser la participation du continent africain à l’élaboration de normes pour des dispositifs médicaux plus sûrs. Présidé par le Zimbabwe, ce partenariat a abouti à la publication d’ISO 23908 sur les dispositifs de protection contre les blessures par perforants et d’ISO 23907 sur les conteneurs pour perforants, lesquelles ont judicieusement complété les autres normes ayant trait à ce domaine, comme ISO 21649 (injecteurs sans aiguille) et la série ISO 7886 (seringues hypodermiques non réutilisables).
Des injections plus sûres
Il y a de nombreuses raisons d’améliorer la manière dont sont administrées les injections. La pénurie chronique de fournitures médicales, ainsi que leur prix, appellent des mesures désespérées, notamment la propension à réutiliser du matériel d’injection non réutilisable. Qui plus est, des études scientifiques montrent que l’administration d’injections fait courir un risque non seulement au personnel médical, mais aussi au personnel auxiliaire, comme les agents d’entretien, le personnel de blanchisserie ou les techniciens de laboratoire.
Pour essayer de réduire les risques de blessure et de transmission de maladies, l’OMS a lancé en 2015 une nouvelle politique sur la sécurité des injections, invitant la communauté internationale à passer, s’il y a lieu, aux seringues sécurisées d’ici à 2020. Elle a publié des lignes directrices très détaillées sur la sécurité des injections, où sont décrits un certain nombre de dispositifs de sécurité pour seringues, lesquels protègent non seulement la personne qui reçoit une injection, mais aussi le professionnel de la santé qui la lui administre.
L’OMS a souligné que la transmission d’infections ne se limite pas aux pays en développement, car la réutilisation des seringues se pratique en de nombreux endroits. « Il est absolument indispensable d’adopter des seringues sécurisées pour protéger les gens partout dans le monde contre le VIH, l’hépatite et d’autres maladies. Ce changement doit être une priorité urgente pour tous les pays », a déclaré le Dr Gottfried Hirnschall, Directeur du Département VIH/sida de l’OMS, dans un communiqué de presse publié à l’occasion du lancement des lignes directrices.
Un langage normalisé
Publiées en 2015, les Lignes directrices de l’OMS sur l’utilisation de seringues sécurisées pour les injections intramusculaires, intradermiques et sous-cutanées dans les structures de soins énoncent des règles de base pour les seringues munies de dispositifs de « protection contre les blessures par perforants ». Celles-ci renvoient aux définitions d’ISO 23908, Protection contre les blessures par perforants – Exigences et méthodes d’essai – Dispositifs de protection des aiguilles hypodermiques, des introducteurs de cathéters et des aiguilles utilisées pour les prélèvements sanguins, non réutilisables, qui établit des normes minimales, concertées à l’échelon international, pour réduire le risque de blessure par perforants. En outre, la norme ISO 7886 en plusieurs parties, qui définit les propriétés et les exigences relatives aux seringues hypodermiques stériles non réutilisables, porte aussi sur les seringues autobloquantes (ISO 7886-3) et les seringues avec dispositif empêchant la réutilisation (ISO 7886-4). Cela en fait un outil très utile à la fois pour les fabricants qui les produisent et pour les utilisateurs qui peuvent ainsi avoir l’esprit tranquille en sachant que les seringues satisfont aux exigences minimales de qualité et de sécurité.
Le document de l’OMS référence les seringues sécurisées selon leur définition ISO afin d’assurer une caractérisation exacte du dispositif de sécurité de chaque type de seringue et de permettre à tous les utilisateurs des lignes directrices d’en avoir une compréhension commune. Ces normes ISO sont régulièrement mises à jour de manière à pouvoir toujours répondre aux besoins des fabricants et des utilisateurs, et à prendre en compte toutes les nouvelles technologies susceptibles de réduire le risque de transmission de maladies.
Et après ?
Mais cela ne s’arrête pas là. Selon William Dierick, le comité est en constante évolution et s’emploie en permanence à évaluer ses travaux afin d’élaborer des normes répondant aux besoins en matière d’injections dans un nombre croissant de structures. « Nous avons aussi d’autres normes qui portent principalement sur les exigences relatives aux dispositifs destinés à des groupes particuliers tels que les patients malvoyants et certains groupes d’âge », précise-t-il.
« De plus, nos normes faisaient à l’origine une large place aux dispositifs destinés aux professionnels de la santé, mais compte tenu du nombre croissant de dispositifs servant à l’auto-administration des injections, nous avons décidé d’élargir notre champ d’action afin de prendre en compte les stylos-injecteurs, les auto-injecteurs et les injecteurs portés à même le corps. Cette initiative assurera une administration plus efficace et plus commode des produits médicaux et présentera d’importants avantages, tant pour les systèmes de santé que pour les patients. »
Tout cela est de bon augure pour les pays à l’approche de l’échéance de 2020 fixée par l’OMS et devrait les inciter vivement à passer, s’il y a lieu, aux seringues sécurisées. Cela devrait aussi favoriser la réalisation de certains des Objectifs de développement durable des Nations Unies, tout en sauvant des vies dans les pays où la réutilisation des seringues reste une pratique très répandue.
1) Injection Safety Fact Sheet (Principaux repères de l’OMS en matière de sécurité des injections).
2) Perforant : instrument à usage médical (scalpel, bistouri ou seringue) susceptible de couper, de perforer ou de piquer, et de produire des débris coupants en se brisant.