En 2010, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a officiellement déclaré que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain fondamental. C’est pourquoi l’Objectif de développement durable n°6 (ODD 6) de l’ONU stipule que tout humain devra avoir accès à un assainissement sûr d’ici 2030 afin de mettre fin à la défécation à l’air libre pour les milliards d’êtres humains qui n’ont aujourd’hui aucune autre alternative. Selon le Programme commun de surveillance de l’eau et de l’assainissement, le mécanisme officiel des Nations Unies conçu pour suivre les progrès de l’ODD 6, 2,3 milliards de personnes ne disposent d’aucune forme d’assainissement, et chaque année plus de deux cents millions de tonnes d’excréments humains ne sont pas traitées.
Dans les pays développés, une grande partie de la population, sinon l’ensemble, considère comme normale l’existence de systèmes perfectionnés et interconnectés d’assainissement et de traitement des eaux usées, alors que dans les pays en développement, 90 % des eaux usées sont déversées dans les lacs, les rivières ou les océans. Il en résulte une pollution néfaste pour la santé des animaux, des plantes et des personnes. « Soixante pour cent de l’humanité est privée d’installations sanitaires gérées de manière sûre », explique Sun Kim, Responsable de programme à la Fondation Bill et Melinda Gates et Président du comité de projet ISO/PC 318, chargé de l’élaboration d’une norme pour les systèmes d’assainissement à l’échelle de la collectivité.
En outre, eau propre et assainissement sont étroitement liés car les eaux usées évacuées sans contrôle contaminent fréquemment les ressources en eau, ce qui a souvent des conséquences désastreuses. « Sans assainissement sûr, l’eau potable est inévitablement polluée », fait remarquer M. Kim. Il est choquant que 1,8 milliard de personnes dans le monde utilisent une source d’eau potable contaminée par des matières fécales. Il n’est par conséquent pas surprenant que, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’insalubrité de l’eau et le manque d’assainissement soient la deuxième cause de mortalité infantile dans le monde. Alors, que pouvons-nous faire pour résoudre ce problème majeur ?
Les solutions autonomes
Si la construction de systèmes classiques d’égouts et de traitement des eaux usées interconnectés est une réponse possible à ce problème, force est de constater qu’elle requiert beaucoup d’argent et de temps – deux ressources qui font cruellement défaut dans les pays en développement. Existe-t-il un moyen de créer des systèmes non collectifs capables de faire autant que les grands systèmes sans les mêmes coûts et infrastructures ? « Nous pensons que la réponse est oui », assure M. Kim. En fait, l’ISO et la Fondation Gates sont en train d’y parvenir ensemble grâce aux travaux de l’ISO/PC 318, dont le secrétariat est assuré par les organismes nationaux de normalisation des États-Unis et du Sénégal dans le cadre d’un accord de jumelage ISO.
Les systèmes non collectifs, ou systèmes autonomes, sont des systèmes d’assainissement gérés en l’absence d’égouts interconnectés. Grâce à un soutien important de la Fondation Gates, l’ISO a commencé à élaborer des Accords internationaux d’atelier (IWA) traitant de ce sujet. La Fondation Gates promeut et parraine la recherche et l’investissement dans des domaines tels que l’éducation, l’agriculture, la santé dans le monde et l’assainissement dans les pays en développement, tandis que l’ISO contribue à faciliter la mise sur le marché de spécifications ciblées en moins d’un an par le biais du processus accéléré qu’offre un IWA.
Bien que les IWA évoluent souvent en normes ISO à part entière, ils fournissent entre-temps des solutions très attendues. Le numéro de janvier/février 2018 d’ISOfocus (#126) a déjà présenté les travaux sur l’IWA 24, qui spécifie les exigences générales de performance et de sécurité pour la conception et les essais de systèmes d’assainissement non collectifs. Cet accord a ensuite servi de base à ISO 30500, une Norme internationale pour des toilettes de petite échelle, sûres, autonomes et auto-suffisantes, avec traitement des matières fécales, qui a été publiée fin 2018.
L’ISO/PC 318 a, quant à lui, élaboré l’IWA 28 pour des systèmes à l’échelle de la collectivité qui peuvent traiter les déchets de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de personnes utilisant des toilettes autonomes fonctionnant sans connexion à un réseau. L’IWA 28 spécifie les exigences pour la conception, la performance, les essais, la certification et le fonctionnement d’unités indépendantes, autonomes et autosuffisantes en énergie, connues sous le nom d’unités de traitement des matières de vidange (UTMV). L’ISO/PC 318 travaille actuellement à la conversion de l’IWA 28 en norme ISO, la future ISO 31800.
Encadrer la technologie
Mais avant d’en arriver à cette étape importante, revenons un peu sur l’histoire de cet IWA. Après avoir développé le concept d’UTMV, la Fondation Gates a approché des chercheurs et des industriels pour donner forme à cette idée. « Nous avons travaillé avec TÜV SÜD à l’élaboration d’une norme privée pour les UTMV, que nous avons ensuite proposée comme document de base pour ISO 31800 », explique M. Kim. TÜV SÜD est une organisation allemande axée sur l’ingénierie et les technologies, qui s’est spécialisée dans les essais de performance pour le développement, la vérification et la certification de produits techniques.
L’ISO/PC 318 a élaboré l’IWA 28 pour des zones à forte densité de population telles que les grandes villes. De nombreuses zones urbaines dans le monde en développement peuvent être dotées de systèmes rudimentaires de collecte et de transport de grandes quantités de matières fécales mais elles ne possèdent pas nécessairement les moyens de traiter les déchets, qui sont alors rejetés dans l’environnement. L’IWA 28 décrit les processus, procédures, spécifications et procédures d’essai indispensables pour mettre en œuvre des équipements capables de traiter les matières de vidange de manière sûre, fiable, durable et efficace.
Autrement dit, l’IWA 28 fournit un cadre qui s’inscrit dans l’économie circulaire et la concrétise de manière sûre et durable. À cette fin, l’IWA 28 spécifie les exigences pour assurer l’existence de moyens en place permettant de collecter, d’entreposer et de traiter les matières de vidange dans l’UTMV. Les exigences minimales comprennent l’utilisation des matières fécales comme combustible et pour la récupération d’énergie, ainsi que le contrôle et la limitation de toutes les émissions atmosphériques, des odeurs, du bruit et des effluents. Certaines exigences portent également sur les produits finals du processus, par exemple lorsque les matières de vidange traitées sont converties en un produit pouvant être utilisé comme engrais par les agriculteurs.
Pour sa part, « ISO 31800 est « agnostique sur le plan technologique » et n’est spécifique d’aucune technologie particulière, telle que la combustion des boues, la digestion anaérobie ou toute autre forme de système biologique ou thermique », précise M. Kim. « Nous avons même un partenaire de recherche qui développe une technologie utilisant l’oxydation par eau supercritique. Tout dépend de ce qui est le plus adapté aux conditions environnementales, pour autant que la conception de l’UTMV valorise les matières fécales comme combustible afin d’éliminer les agents pathogènes en utilisant le pouvoir calorifique des boues de vidange », ajoute-t-il.
Un traitement tout-en-un
La société d’ingénierie américaine Sedron Technologies, représentée au sein de l’ISO/PC 318, a développé le premier prototype d’UTMV qui a évolué en synergie avec l’IWA 28. Cette technologie – « l’omniprocesseur » –, utilise les boues d’épuration comme combustible à la fois pour sécher les boues elles-mêmes et permettre l’achèvement du processus dans l’UTMV. Cette technologie unique est en passe de révolutionner le secteur du traitement des déchets. Un exemple en est l’usine pilote installée en 2015 à Dakar, au Sénégal, qui fonctionne depuis avec succès.
L’objectif est maintenant d’élaborer des normes pour soutenir tout un ensemble de technologies, dans l’espoir de reproduire le succès de Dakar. L’IWA 28 spécifie des exigences très strictes en matière de contrôle de processus, de fonctionnalité, d’impacts environnementaux et de certification. Quelle est la raison d’être de telles exigences ? « L’idée est de trouver un équilibre entre les exigences techniques permettant de garantir que les agents pathogènes sont neutralisés tout en faisant en sorte que ces unités puissent être adoptées dans autant de pays que possible, et de soutenir les clients locaux tels que les services de distribution, les pouvoirs publics et les entreprises », explique M. Kim.
La future ISO 31800 contribuera également à assurer la stabilité des performances des UTMV sur le long terme. « Bien que la norme soit rédigée pour l’évaluation initiale des UTMV fabriquées, certains éléments des exigences de performance pourraient également faciliter la surveillance de la performance du système à long terme », ajoute-t-il.
Un concept gagnant-gagnant !
À bien des égards, le concept d’une UTMV est avantageux pour tout le monde. Non seulement une telle unité permet d’offrir des services d’assainissement dans des régions ne disposant pas d’égouts reliés à des usines de traitement des eaux usées, mais les bénéfices environnementaux sont également au rendez-vous. En plus d’éliminer la pollution de l’eau provoquée par les boues fécales non traitées, les UTMV auront également un impact moindre sur le changement climatique. En effet, la fermentation des eaux usées non traitées libère du méthane, un gaz à effet de serre très puissant – trente fois plus puissant que le dioxyde de carbone. « En comparaison des émissions de méthane produites par la digestion anaérobie naturelle des matières de vidange, le traitement direct et la conversion en dioxyde de carbone auraient un effet moins négatif sur le changement climatique. De plus, les émissions de dioxyde de carbone émanant principalement des aliments consommés, elles sont partie intégrante du cycle continu du carbone plutôt que libérées par du carbone précédemment emprisonné dans des combustibles fossiles », explique M. Kim.
« Nous pensons qu’une UTMV est préférable d’un point de vue de la dissémination des agents pathogènes, préférable d’un point de vue environnemental, et en comparaison d’une digestion incontrôlée des matières fécales, elle est également préférable du point de vue de la libération de gaz à effet de serre », souligne M. Kim.
Mais de telles solutions doivent aussi être économiquement viables, faute de quoi les fabricants et les utilisateurs potentiels ne les adopteront pas. C’est pourquoi ISO 31800 fournira également un socle pour assurer la durabilité économique en établissant des cadres pour les essais et la certification en plus des spécifications pour une opérabilité efficiente, efficace et économique. Ce sont ces facteurs qui inspireront confiance aux acheteurs, aux opérateurs et aux utilisateurs des UTMV. « De notre point de vue, la durabilité couvre de nombreux aspects différents. Mais pour que cette norme ait une portée considérable, elle doit particulièrement soutenir les entreprises viables », conclut M. Kim. Et sur la base de l’expérience acquise à Dakar, ISO 31800 est vouée à une belle réussite.