Le point sur la santé mentale
Comment une nouvelle norme relative au management de la santé psychologique sur le lieu de travail contribue à transformer le secteur de l’éducation.
Si beaucoup d’emplois comportent un facteur de stress dans des circonstances optimales, la pandémie actuelle a poussé de nombreux travailleurs à leurs limites. La dernière norme du comité de l’ISO pour le management de la santé et de la sécurité au travail ne pouvait tomber plus à propos. Publiée au début de cette année, ISO 45003 vise à aider les organisations de tous types et de tous secteurs à mettre en place de bonnes pratiques permettant d’assurer le management de la santé psychologique et du bien-être du personnel.
L’éducation est l’un de ces secteurs. Placés en première ligne de la pandémie, alors que des milliards de cours ont été mis en ligne du jour au lendemain, les étudiants comme les enseignants ont vu leurs conditions d’existence bouleversées et ont été soumis à des niveaux élevés de stress. Si le stress des étudiants a fait l’objet de nombreuses études, le personnel des établissements d’enseignement s’est trouvé lui aussi fortement exposé.
Conscients des avantages potentiels d’ISO 45003, de nombreux établissements d’enseignement du monde entier ont décidé de l’appliquer. S’il est encore trop tôt pour en percevoir tous les effets, certains signes semblent indiquer que cette décision induit certains changements – pour le mieux. Des universitaires nous ont donné leur point de vue sur le stress au travail dans le monde universitaire, les effets de la pandémie et les espoirs suscités par cette nouvelle norme.
L’éducation présente davantage de risques psychosociaux.
Pression sur le secteur de l’éducation
Lorsque la pandémie s’est déclarée au début de l’année 2020, la plupart des établissements d’enseignement du monde entier ont eu une semaine à peine pour fermer leurs portes et mettre l’ensemble de leurs programmes en ligne. Depuis lors, l’imprévisibilité est la seule constante que connaissent les étudiants et les enseignants. Sans surprise, de nombreuses études ont montré la forte incidence de la pandémie sur la santé mentale des membres du personnel scolaire et universitaire, aussi bien pendant les périodes de confinement que lors du retour en classe. Les inquiétudes quant à la façon la plus efficace de dispenser des cours en ligne et la pression liée à la prise de conscience de leur importance déterminante pour l’avenir de nombreux jeunes ont eu pour effet, comme c’était à prévoir, d’aggraver les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress chez bon nombre d’entre eux.
Même avant la pandémie, on avait constaté que de nombreux membres du personnel universitaire souffraient de stress lié au travail, et notamment de problèmes de santé mentale et d’épuisement professionnel. Selon Aditya Jain, membre du comité de l’ISO pour le management de la santé et de la sécurité au travail et Professeur associé en gestion des ressources humaines à la Nottingham University Business School, la pandémie n’a fait qu’amplifier les difficultés que l’on rencontrait déjà dans l’exercice de ces professions.
« Par rapport à d’autres secteurs, l’éducation présente davantage de risques psychosociaux. Les enseignants et les professeurs de l’enseignement supérieur côtoient en permanence d’autres personnes, et les emplois sont souvent sous-payés et pâtissent d’un manque de ressources. Mais ce qui est peut-être le plus éprouvant, c’est le sentiment de responsabilité que ressentent les enseignants quant à l’incidence de l’éducation sur la vie des jeunes. » À tout cela s’ajoutent des problèmes de gestion, précise-t-il, dus au fait que de nombreuses tâches en la matière sont remplies par des personnes qui n’ont pas toujours les capacités requises ou qui sont soumises à des ingérences d’ordre politique, ce qui contribue encore à accentuer la pression.
Même avant la pandémie, de nombreux acteurs du monde universitaire étaient confrontés à des problèmes de santé mentale. L’ampleur de la charge de travail, le manque de reconnaissance et l’obligation de réussir selon des critères très restrictifs sont autant de facteurs qui ont des conséquences néfastes. Le déclenchement de la pandémie a eu pour effet d’accroître la charge de travail et de bouleverser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, sans compter le stress et l’angoisse liés à la santé et à l’incertitude auxquels nous avons tous été soumis.
Les cas d’épuisement professionnel se sont multipliés. D’après une étude américaine réalisée en octobre dernier par The Chronicle of Higher Education et la société de services financiers Fidelity Investments à Boston, dans le Massachusetts, près de 70 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles s’étaient senties stressées en 2020, en comparaison de 32 % en 2019, et beaucoup plus encore se sont dites fatiguées et en colère.
La prévention est essentielle
Pour Stravoula Leka, Professeur émérite de politique du travail et de la santé à l’Université de Nottingham, si la plupart des établissements d’enseignement ont pris la mesure des effets de la pandémie sur le personnel, ils ont mis en œuvre des mesures de soutien essentiellement réactives, comme des services d’assistance téléphonique et des programmes d’aide aux employés.
« Des enquêtes sur les conséquences de la pandémie ont été menées auprès du personnel, qui ont révélé une augmentation du stress au travail et des problèmes récurrents de charge de travail », indique Mme Leka. « La pandémie a malheureusement montré qu’une approche préventive fait encore défaut pour gérer les risques psychosociaux et promouvoir un milieu de travail sain. »
« Cependant, il existe également de nombreuses lignes directrices dont les établissements d'enseignement peuvent s’inspirer pour gérer ce problème et fournir un soutien aux membres du personnel afin de renforcer leur résistance au stress », ajoute M. Jain. « Il ne suffit pas d’être résilient. Quelle que soit sa résistance, une personne soumise à une pression croissante finit par s’effondrer. Il est temps de changer d’approche et de prendre en premier lieu des mesures destinées à prévenir l’augmentation du stress à de tels niveaux. »
Selon lui, nombre d’établissements d’enseignement sont animés des meilleures intentions, mais se sentent impuissants face à la nature de la tâche à accomplir et compte tenu des ressources dont ils disposent. « Pourtant, ils peuvent faire beaucoup de choses, même avec des ressources limitées. » C’est le principe même de la norme ISO 45003, la première Norme internationale au monde qui concerne la santé psychologique et le bien-être sur le lieu de travail. Les éléments d’orientation s’appuient sur les ressources exploitables déjà disponibles et les optimisent pour proposer une démarche plus efficace, plus accessible et mieux intégrée.
« Même lorsqu’il existe de bons éléments d’orientation, ceux qui en ont le plus besoin ne sont pas toujours à même d’en prendre connaissance ou d’y avoir accès », ajoute M. Jain. « De plus, il n’existe pas vraiment de dispositif qui rassemble tous les moyens de prévention et d’adaptation aux diverses formes de stress qui peuvent avoir une incidence sur la santé psychologique au travail. ISO 45003 a été élaborée pour combler cette lacune. »
Apporter des changements durables
Selon Mme Leka, ISO 45003 peut aider n’importe quelle organisation à adopter une telle approche systématique et préventive dans l’optique d’assurer la gestion des risques psychosociaux et de promouvoir la santé psychologique et la sécurité au travail. « Pour l’essentiel, la démarche stipulée par ISO 45003 est en fait une prescription légale dans la plupart des pays, le problème étant que, dans ce domaine, le respect de la loi ne garantit pas qu’elle est appliquée de manière adaptée et sincère. La norme va au-delà des exigences minimales de la législation et entre beaucoup plus dans les détails, afin d’aider réellement les organisations à faire avancer les choses. »
On y trouve des exemples d’interventions et d’évaluations menées à ce propos. « La norme permet également aux organisations d’évaluer leurs pratiques par rapport aux exigences des Normes internationales et de s’assurer qu’elles restent suffisamment souples pour s’adapter aux modifications du milieu de travail susceptibles d’influer sur la santé physique et psychologique et sur le bien-être » ajoute Mme Leka.
Lignes directrices pour la gestion des risques psychosociaux
S’il est trop tôt pour mesurer avec précision l’impact de la norme sur la profession compte tenu du temps nécessaire à la mise en place de ces changements institutionnels, il est certain que les mentalités ont déjà commencé d’évoluer. « Il y a 20 ans, un employeur aurait dit que la santé mentale au travail est un problème individuel et ne le concernait pas », dit M. Jain, « mais les temps ont changé depuis lors. Le silence est rompu depuis longtemps, et les faits sont attestés. Cependant, cela ne veut pas toujours dire que les solutions sont simples et que le problème a disparu. Étant donné l’évolution des mentalités et la mise à disposition d’outils concrets très attendus tels qu’ISO 45003, il y a beaucoup d’espoir qu’un changement réel se profile. »
Un changement qui se poursuivra encore longtemps, car la pandémie de COVID-19 n’est manifestement pas terminée ; et même lorsqu’elle le sera, il y aura très certainement beaucoup d’autres défis nationaux ou mondiaux auxquels seront confrontés les universitaires. Mais avec les possibilités offertes par cette nouvelle norme, il devrait être un peu plus facile de surmonter les difficultés, tant pour eux que pour la jeune génération dont ils tiennent l’avenir entre leurs mains.