Les drones aériens ou systèmes d’aéronef sans pilote ont joué un rôle majeur durant la pandémie de COVID-19, notamment pour venir en aide aux populations ou veiller au respect des règles de distanciation physique. Malgré tout, leur utilisation commerciale reste à ce jour limitée pour des questions de sûreté et de partage de l’espace aérien.
Un horizon incertain
La pandémie de COVID-19 continue de bouleverser nos vies et les économies partout dans le monde, avec des effets particulièrement dévastateurs sur l’industrie aéronautique. Séverin Drogoul, expert du secteur depuis plus de 35 ans, revient sur les défis actuels et les opportunités à saisir pour assurer une reprise durable de l’activité aéronautique.
L’aviation et le secteur du transport aérien ont enchaîné les périodes de turbulences : attentats du 11 septembre, pandémie de SRAS entre 2002 et 2004, éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010, avec paralysie du trafic aérien. Mais les dégâts infligés par la pandémie de COVID-19 sont d’une toute autre ampleur encore, avec des répercussions qui restent pour tous « sans précédent ».
À mesure que le virus se propageait à travers le monde et que les pays se confinaient les uns après les autres, les avions ont été cloués au sol et le trafic aérien quasiment réduit à néant. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), les compagnies aériennes devraient perdre un montant record de USD 84 milliards en 2020, soit plus de trois fois les pertes enregistrées pendant la crise financière mondiale.
Les actions des compagnies aériennes sont en chute libre, certaines ont déposé le bilan (comme Flybe au Royaume-Uni en mars et Virgin Australia en avril) et les compagnies nationales souffrent. Par exemple, l’International Airlines Group, qui possède British Airway, a enregistré une perte de plus de deux milliards de livres sterling au deuxième trimestre, après l’effondrement de son activité de vols commerciaux.
Compte tenu du ralentissement du transport aérien, de la récession économique et de l’instabilité de la situation sanitaire, on voit difficilement comment le secteur pourrait faire face à ces défis et opérer une reprise durable. Séverin Drogoul, représentant pour la France du comité technique ISO/TC 20, Aéronautique et espace, et Président de SD Consulting – Aerospace Advisory, travaille depuis plus de 35 ans dans l’industrie aéronautique. À l’heure où nombre de pays continuent de lutter contre le virus, ISOfocus lui a demandé de quelle manière le secteur gérait les répercussions de la pandémie, comment ses différents acteurs entendaient relever les nombreux défis et quelles étaient les opportunités à saisir dans ce contexte de rupture.
Séverin Drogoul
Président de SD Consulting – Aerospace Advisory, le représentant pour la France du comité technique ISO/TC 20, Aéronautique et espace.
Comment l’industrie aérospatiale et aéronautique a-t-elle selon vous fait face à la crise de la COVID-19 ?
Il est important de comprendre que les réponses apportées à la crise varient selon que vous soyez une compagnie aérienne, un géant de l’aéronautique comme Airbus ou Boeing, un fournisseur spécialisé ou un prestataire de services, par exemple un aéroport ou une agence de contrôle du trafic aérien civil. Tous ces acteurs ont été durement touchés.
Les mesures prises diffèrent également selon le domaine concerné. L’aviation civile a par exemple davantage souffert que l’aviation militaire, dont les vols d’avions et d’hélicoptères ont été moins perturbés par la fermeture des frontières ou le ralentissement de l’activité touristique. Le fret aérien a lui aussi été relativement épargné. Les avions cargo ont continué de voler pour assurer la distribution des marchandises de première nécessité dans le monde entier, d’où l’importance de maintenir la continuité des services de trafic aérien malgré la baisse de l’activité de transport de passagers.
Les réactions au sein du secteur aéronautique ont également été étroitement liées aux stratégies adoptées dans les différents pays et régions du monde à mesure que le virus gagnait ou perdait du terrain. En outre, la décision unilatérale de certains pays de fermer leurs frontières a empêché l’adoption d’une approche plus commune, portant un nouveau coup dur au secteur. En Europe, chaque pays s’est engagé à soutenir son industrie aéronautique civile nationale afin de faire face à la crise de 2020. Malheureusement, cela risque de ne pas être suffisant pour couvrir les pertes des deux prochaines années.
En quoi les mesures de quarantaine ont-elles affaibli le secteur ? Existe-t-il des stratégies pour améliorer la situation ?
Les mesures de quarantaine constituent un obstacle de taille à la reprise du trafic aérien. Dans une enquête menée par l’IATA auprès des passagers, 75 % à 85 % des résidents français, allemands et britanniques ont indiqué qu’ils renonceraient à voyager si une quarantaine était mise en place. Les aéroports européens devraient accueillir sept cents millions de passagers en moins en 2020, soit une baisse de 28 % par rapport aux prévisions précédentes. Les compagnies aériennes et les sociétés de gestion aéroportuaire ont été contraintes de solliciter des plans de sauvetage auprès de leur gouvernement. En Europe, par exemple, les exploitants d’aéroports devraient perdre USD 15,4 milliards en raison de la pandémie.
Les gouvernements qui souhaitent relancer leur économie doivent ainsi trouver une solution basée sur le risque. Mais laquelle ? Une piste serait de mettre en place une stratégie associant des mesures sanitaires coordonnées et uniformisées à l’échelon mondial pour le transport aérien à des plans nationaux efficaces de gestion de la COVID‑19. Les pouvoirs publics doivent à tout prix coordonner leurs efforts pour rétablir les liaisons aériennes de manière cohérente et dans le respect des bonnes pratiques internationales.
Les plus optimistes prévoient une reprise totale des vols civils vers la mi-2023. Les autres doutent que cela soit possible avant la mi-2025. D’ici là, certaines compagnies aériennes auront disparu et de nombreuses personnes auront perdu leur emploi. La continuité de l’aide financière et réglementaire est indispensable.
De nombreux gouvernements européens, par exemple, ont reconnu le rôle stratégique de leur industrie aéronautique et lui ont apporté leur soutien. Or, l’aide financière a été en majeure partie accordée sous forme de prêts. Avec toutes ces dettes accumulées, il sera malheureusement difficile pour les compagnies aériennes d’investir dans de nouveaux services, des avions plus propres et l’emploi.
Quel sera l’impact à long terme de la pandémie sur l’industrie aéronautique mondiale ?
Pour le savoir, nous devons prendre en compte les différents types de répercussions à court terme et à moyen terme sur les compagnies aériennes de transport de passagers et de fret, les constructeurs aéronautiques, les sociétés de gestion aéroportuaire, ainsi que sur les fournisseurs de services de restauration et autres prestataires. Il faut ensuite en analyser les effets en premier lieu sur le trafic aérien et en second lieu sur le nombre de commandes d’avions passées par des compagnies aériennes qui devront probablement réorganiser leur structure.
Dans tous les cas, le secteur dans sa globalité et toutes les parties prenantes devront adapter l’étendue et le périmètre de leur action tout au long de la phase de reprise. Comme je l’ai dit précédemment, il faudra au minimum deux à trois ans pour retrouver le niveau d’activité de début 2020. Concernant l’impact à plus long terme, disons pour les 15 à 20 années à venir, l’équation se complique.
Avant la pandémie, il était prévu que le nombre d’avions, ainsi que le trafic aérien mondial, doublent au cours des 15 années suivantes. Aujourd’hui, on se demande plutôt si le secteur est en mesure de maintenir pour les 15 à 20 prochaines années les objectifs fixés avant l’arrivée du virus. Mais cette question en entraîne d’autres. Les gens voudront-ils continuer à voyager comme ils le faisaient avant la crise ? Quel est l’impact réel du trafic aérien sur le changement climatique ? Sommes-nous capables de faire évoluer l’industrie aéronautique selon un nouveau paradigme reposant sur des technologies de rupture nouvelles (avions électriques ou encore à hydrogène) ?
À votre avis, à quoi ressemblera la « nouvelle normalité » du secteur ? Et quelles sont les nouvelles opportunités ?
Malgré le constat plutôt pessimiste des acteurs de l’industrie aéronautique, je pense que la « nouvelle normalité » sera assez fidèle à la situation qui prévalait avant la pandémie de COVID-19. Dès qu’un vaccin sûr et efficace sera disponible, et même si le virus mute, le marché de l’aviation retrouvera son activité d’avant-pandémie. Les compagnies aériennes de transport de passagers et de fret, les constructeurs aéronautiques, les sociétés de gestion aéroportuaire, ainsi que les fournisseurs de services de restauration et autres prestataires mettront peut-être plusieurs années à se relever, mais ils y parviendront.
Certaines compagnies aériennes ont déjà pris la décision de limiter leur activité, par exemple en réduisant le nombre de vols et en se séparant des avions les moins économiques. L’industrie aéronautique civile aura la possibilité de se transformer pour devenir plus efficace sur le plan écologique et favoriser un trafic aérien durable. Certains gouvernements européens sont prêts à soutenir les efforts mis en place pour concevoir de nouvelles technologies de rupture en finançant notamment les activités de recherche et développement. Le gouvernement français va ainsi injecter EUR 4 milliards à EUR 5 milliards pour aider l’industrie aéronautique dans cette transition. Il est également possible de réduire les émissions de CO2 en concevant et en exploitant davantage d’« avions verts » et de « systèmes de transport aérien verts », ce qui inclut les aéroports. Les premiers avions à hydrogène pourraient prendre leur envol d’ici 2035.
L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible, qui regroupe 33 acteurs majeurs du secteur (dont des parties prenantes clés de l’industrie aéronautique), a demandé au gouvernement français d’investir près de EUR 10,3 milliards entre 2020 et 2030 dans le développement de cette technologie. L’objectif du programme énergétique pluriannuel est d’atteindre un taux de 10 % d’hydrogène décarboné d’ici 2023, puis entre 20 % et 40 % d’ici 2028, l’objectif final étant de positionner l’Europe en tête de ce secteur entre 2020 et 2030.
Comment les normes ISO aideront-elles à répondre aux nouveaux besoins ?
Les normes ISO auront pour rôle de soutenir la recherche et le développement concernant les nouvelles technologies de rupture. La propulsion électrique et hybride électrique est sur le point de révolutionner les technologies de mobilité dans tous les secteurs, aussi bien automobile que maritime. Et l’industrie aéronautique ne fera pas exception à la règle. De grands groupes aéronautiques tels que Boeing ou Airbus travaillent actuellement sur les vols électriques afin de poser les bases d’une adoption d’avions commerciaux et de véhicules volants urbains à propulsion alternative et d’une réglementation à grande échelle.
Au vu de ces défis, quelles mesures l’ISO/TC 20 prendra-t-il pour rester un acteur essentiel de l’industrie aérospatiale ?
Il est probablement trop tôt pour savoir quelles mesures l’ISO/TC 20 devra prendre pour la période à venir. Le comité technique devra avant tout faire preuve d’une grande capacité d’adaptation face aux nouveaux besoins qui ne manqueront pas d’apparaître.
Dans cette optique, il pourrait être intéressant de réfléchir à la création de sous-comités en charge des nouveaux défis du paysage aéronautique (changement climatique, éco-efficacité, durabilité, etc.), afin de mieux soutenir l’industrie.
En transit
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